Formés en 1989 à Londres, ils étaient en 92 le groupe britannique dont on parlait le plus. Avant même la sortie de leur premier album éponyme, on pouvait lire sur des encarts publicitaires pour Virgin Airways dans le métro londonien: "Cinq raisons essentielles de visiter le Royaume Uni: la Reine, un Virgin Megastore, les écossais, un petit déjeuner anglais… et Brett Anderson.". L'engouement d'alors pour Suede était en partie dû au manque de personnalité dans la pop du début des années 90.
        Bref. Tout le monde connaît Suede. Rencontre avec Brett Anderson leader-chanteur, et Matt Osman, bassiste du groupe.
 

Vous avez attendu trois ans avant de sortir Head Music. Pourquoi avez-vous attendu si longtemps?
Brett: C'était vraiment nécessaire, c'est juste le temps qu'a pris l'enregistrement de l'album. Il a pris tant de temps pour beaucoup de raisons: on a travaillé avec un nouveau producteur, sur de nouvelles chansons, on a commencé l'écriture des chansons avec du nouveau matériel technique, on a tenté de les écrire d'une manière un peu différente d'auparavant. C'était pas juste retourner dans un studio et refaire exactement la même musique.
Matt: Et on a quand même tourné pendant 18 mois… en réalité, on n'a pas commencé l'écriture de Head Music avant un an et demi après la sortie de Coming Up.

Head Music est votre premier album qui porte le nom d'une des chansons de l'album. Il y a une raison à cela?
Je voulais écrire une chanson dont le titre serait Head Music, et c'est ce que j'ai fait; c'est venu comme çà; ça semblait pervers, étrange, et je trouvais que ça allait bien avec le reste, donc on a gardé ce titre pour l'album.

La dernière chanson de l'album, Crack in the Union Jack, est presque une chanson politique. Vous aimeriez finalement être un peu plus engagés politiquement?
Brett: Excellente question. Matt, je te la laisse.
Matt: Je pense qu'elle est politique de manière plus évidente que la plupart de nos chansons, mais je pense que beaucoup de nos chansons sont politiques, en réalité. Black or Blue (Dogman Star), par exemple, est aussi politique. C'est toujours un peu dangereux de classifier les chansons: chansons politiques, chansons d'amour, etc… Si les chansons parlent de la vie des gens, du monde réel, de l'amour, de la haine, du lavomatic, eh bien elles sont politiques, dans un sens. Un bonne chanson doit avoir ce côté universel.
Brett: Dans le passé, on avait quand même des chansons qui parlaient de race, de sexe, de sujets très politiques. Je prends parti sur des sujets politiques, sans pour autant que les mots "Union Jack", ou "Labour Party", ou bien "Margaret Thatcher" apparaissent dans les titres.
Matt: Si on enlevait la phrase du refrain, plus personne ne nous le demanderait.
Brett: La pop, ça ne parle pas forcément d'amour, ça n'est pas toujours si direct. La pop-music, c'est parler en grands titres, en lettres capitales…

Head Music est l'album du changement. Vous avez changé de producteur et l'écriture des chansons est de plus en plus collective. Diriez vous que Head Music est un nouveau départ?
Matt: A chaque fois que tu fais un disque, c'est toujours un nouveau départ. C'est vrai qu'il y a beaucoup de changements avec cet album, mais Coming Up était un nouveau départ, Dogman Star était un nouveau départ. A chaque fois que tu fais un nouveau disque, tu ne veux pas te répéter, et tu es excité et attiré par des choses que tu n'as jamais faites auparavant. Juste le fait de ne les avoir jamais faites les rendent excitantes. C'est forcé de vouloir faire quelque chose de différent à chaque album, surtout quand tu attends deux ans entre chaque. Donc la réponse à ta question est: oui.

Vous avez joué plusieurs fois pour vos fanclub. Quelles sont vos relations avec le public?
Brett: Purement sexuelles, en fait.
Matt: Non, c'est pas vrai. Financières, aussi. Faire des concerts pour des fanclubs, c'est pas une chose sainte et altruiste: on y essaie de nouvelles choses, on y joue de nouvelles chansons.
Brett: Et tu es sûr que les gens t'écoutent.
Matt: Donc la réponse à ta question est: oui.

Votre Black session en mai dernier a été explosive, et le publique plus qu'enthousiaste.Cela vous a-t-il surpris, ou etes vous habitués à ce genre de réactions?
Matt: J'ai été assez surpris, on pensait que c'était le dernier endroit où ce genre de choses pouvait arriver. On a fait des tas de concerts dans des tas de petits clubs, où les gens sont devenus fous, mais là les gens qui étaient tranquillement assis ont envahi la scène.
Brett: C'était d'autant plus étonnant qu'on avait déjà fait des Black Sessions auparavant, deux ou trois; à chaque fois, c'était très bien, mais on ne pouvait vraiment pas s'attendre à ça; que les gens montent sur scène!
Matt: Tiens, d'ailleurs, j'ai revu la vidéo, c'est vraiment bien.
Brett: Ah oui? Qu'est-ce que tu en dis?
Matt: Oui, c'est bien.

Donnez vous des interviews de mauvaise grace? Pensez vous que ça fait partie du métier?
Matt: Non, ça ne me dérange pas du tout.
Brett: On n'en fait pas si on n'en a pas envie… il y a des tas de fois où on refuse d'en donner parce qu'on est pas de bonne humeur.
Matt: Je trouve bizarre que des gens se plaignent tout le temps de donner des interviews, alors qu'ils ne sont pas obligés de le faire!
Brett: C'est très facile de ne pas en faire.
Matt: Il suffit juste de dire: "non".

Vous préférez en donner à des gros magazines ou plutôt à des fanzines?
Matt: Je préfère en donner à des gens qui s'y connaissent en musique. C'est chiant quand tu tombes sur des gens qui te demandent: "Vous jouez dans un groupe… racontez-moi l'histoire de l'enregistrement de Head Music.". Donc la réponse à ta question est :non.

Avec la sortie du nouvel album, vous avez fait beaucoup de promotions, par exemple la séance de dédicace à Paris. Quel effet cela vous a-t-il fait de voir tous ces gens? Etait-ce flatteur, ou était-ce ennuyeux de signer tous ces disques?
Matt: On l'a fait pour Simon, en fait. C'est purement et simplement pour Simon, notre batteur. Il adore les séances de dédicace: la plupart de ses amis et de ses partenaires viennent de là. On fait juste ça pour qu'il ait une vie sociale.

Le groupe existe maintenant depuis 10 ans, et n'a cessé d'évoluer, quel regard portez-vous sur les premières chansons de Suede? Aimez-vous toujours jouer des chansons comme Animal Nitrate?
Brett: Oui, on en joue certaines en live, et on aime beaucoup le faire, et je pense que c'est une bonne chose. Quand je réécoute de très vieilles chansons, j'ai un peu de mal à m'identifier à la voix qui sort des haut-parleurs et même à la personne; j'ai probablement beaucoup changé. Mais elles me plaisent encore. J'ai toujours été convaincu que depuis le premier jour, on a toujours écrit de bonnes chansons.

Prêtez vous attention à ce que l'on dit de vous dans la presse? Les remarques négatives et sans fondement vous touchent-elles?
Brett: De moins en moins, en fait: au fur et à mesure, tu apprends à les ignorer, mais dans le même temps, tu apprends aussi à ignorer les louanges. Il faut qu'à un moment tu comprennes que tout ça, c'est souvent écrit par quelqu'un qui a une opinion extrême sur toi, qu'il te traite de Dieu ou de merde. Je pense qu'au bout d'un certain temps ça peut t'ennuyer. Quelquefois, les critiques te blessent parce qu'elles sont fondées, et tu ne peux rien dire contre, parce qu'effectivement, tu as fait certaines choses, ou que tes chansons pourraient être améliorées; mais d'autre fois, quand les critiques sont non fondées, tu t'en fous.

Il y a un groupe particulier qui ait retenu votre attention, cette année?
Matt: C'est assez dur de répondre… nos premières parties ont toujours été très bonnes. Par exemple, l'album des Super Furry Animals est génial, ce qu'ils font est de mieux en mieux. L'album de Merz est aussi très bien, et ça se voit par le succès qu'ils ont auprès de notre public, qui peut être très difficile. Sinon, j'aime bien l'album de Macy Gray. Donne-moi des exemples et je te dirai s'ils sont bien ou non…
Brett: Moi j'aime bien Echoboy.
Matt: John Spencer Blues Explosion

La semaine dernière, on a vu les Flaming Lips, c'était vraiment bien.
Matt: Ah? C'est un bon album?
En tous cas, le concert était excellent.
Matt: Effectivement, j'ai entendu dire que leurs concerts étaient très très bons.
Brett: Ouais, moi aussi, j'aime bien les Flaming Lips.
Matt: En fait, je garde tous ceux que t'ai cités avant, mais je mets les Flaming Lips en premier, même si je connais pas l'album.
Brett: C'est ton classement du millénaire?
Matt: Oui! Les Flaming Lips en premier!

Et au niveau cinéma?
Matt: Les Flaming Lips. Ah non, merde, c'est pas un film. J'ai vu American Beauty, c'est bien.
Brett: Tiens, je l'ai pas encore vu… c'est bien?
Matt: En fait, je ne me souviens pas avoir vu d'excellents films, cette année. Brett, toi, t'es obsédé par le cinéma.
Brett: Oui, c'est vrai. Hier soir, j'ai vu Fight Club, ça allait. La veille, j'ai vu le Sixième Sens, ça allait.
Matt: Oui, c'est des films qui vont… (rires)
Brett: Je suis un grand fan de Stanley Kubrik, qui fait de grands films. Et d'ailleurs, je suis sûr qu'il continuera à faire de grands films.
Matt: (la voix niaise) Je sais tout sur lui, et j'ai vraiment hâte que son prochain film sorte.
Brett: Il a vraiment eu une grande carrière, de Shining à Orange Mécanique. Je suis aussi fan de Docteur Folamour. Il a fait des films extraordinaires.

Vos plans pour le futur?
Matt: Faire d'autre disques… faire un meilleur album, et plus vite.

Vous pensez parfois à des collaborations...
Matt: Pourquoi est-ce que les français sont toujours obsédés par des collaborations? A chaque fois que je donne une interview, la question revient. C'est parce que les français sont intensément collaborateurs? Les français collaborent beaucoup entre eux?
Brett: Ne sois pas impoli…
Matt: Non, mais c'est une question qu'on me pose beaucoup en France, comme si c'était quelque chose de traditionnel. Brett, qu'est-ce que tu penses de ça: collaborer avec The News et The Range, tu sais, les News de Huey Lewis et les Range de Bruce Hornsby, ça nous ferait un groupe parallèle à chacun…

Vous êtes assez célèbres pour vos Faces B. Vous écrivez plein de chansons et vous choisissez ensuite lesquelles seront sur l'album et lesquelles seront les faces B, ou bien vous écrivez spécialement des faces B pour vos singles?

Brett: Ce qu'on a tendance à faire, c'est: quand on rentre en studio, on a besoin de faces B, et on écrit des chansons aussi bonnes que possibles, sans se dire "C'est bon, là, on peut écrire de la merde, ce sera une face B". On écrit toujours aussi bien qu'on le peut. C'est ce qui s'est passé avec des chansons comme The Sound Of The Streets: pour beaucoup d'entre elles ça a peut-être été une erreur de ne pas les faire figurer sur les albums.

Interview David & Sophie
Lille, Aéronef, 17.11.99