Apparitions fugaces mais indélébiles, Sylvain Chauveau aura été, seul ou accompagné par son ami Frédéric Luneau dans Micro : mega, l’homme de l’année. Des longues complaintes hivernales et acoustiques de son fabuleux Livre Noir du Capitalisme (sur la suite duquel il travaille déjà) aux expérimentions électropop et humanistes du nouveau Micro : mega (parfaitement intitulé Human), il aura été partout, il aura été le meilleur, il aura été tout simplement là, et nous l’aurons écouté.
 
 

« Eux »


Tes activités musicales au sein de Micro : mega ou sous ton propre nom auront-elles été réalisées en réaction à la musique de Watermelon Club?
Pas en réaction à la musique, parce que la musique qu’on faisait me convenait. Ce qui ne me convenait pas, c’était plutôt le rythme de son élaboration. C’était donc plutôt en réaction à la lenteur de la création en groupe qui ne me convenait pas, parce qu’il fallait des semaines ou des mois pour faire des morceaux, et ce n’est pas le rythme que je souhaite avoir, parce que la musique, c’est l’essentiel de ma vie. J’avais besoin d’un truc quotidien qui avance beaucoup plus. J’ai voulu démarrer autre chose, pour avoir accès à d’autres types de sons aussi par rapport à mes envies. J’ai demandé à Fred Luneau de me rejoindre dans ce projet ce qui a donné une formule qui mélange les instruments organiques (guitares…), ainsi que des claviers et des samples, ce qui était l’apport de Fred en plus des instruments qu’il joue, donc guitare et basse.

La direction musicale de Micro : mega était-elle définie dès le début?
Pas vraiment, en fait. J’ai tâtonné pendant à peu près deux ans en essayant de bidouiller des trucs tout seul avec un matériel même pas rudimentaire mais un matériel de tiers-monde! Mais je ne trouvais pas vraiment la direction qui convenait et puis en juin 98 j’ai proposé à Fred de m’aider. L’idée que j’avais alors en tête était de faire un rock très atmosphérique, assez ambiant. C’est le mot que j’avais en tête. S’il y avait un mot à mettre dessus, ce serait ambiant. Mais pas ambiant au sens de techno, un peu ambiant rock. Fred avait aussi envie de se plonger là-dedans. On est parti sur cette base et aujourd’hui on y est encore un peu.

Avec le recul, quel regard portes-tu sur votre premier album, Photosphère?
Ce n’est pas un grand disque. C’était un premier jet pour nous. C’est vraiment le fruit de la première année de travail ensemble. Je ne dis pas que c’est mauvais. Mais on avait besoin de passer par là, c’était une étape, tout simplement. Il fallait qu’on passe par une musique très répétitive, très lente, et c’est ce qu’on a fait sur ce disque alors après, on peut dire que ça fonctionne ou que ça ne fonctionne pas… Pour nous, on a posé la première pierre de ce qu’est Micro : mega, avec je pense, deux ou trois morceaux qui sortent un peu du lot, qui sont encore à sauver, mais aujourd’hui, on ne ferait plus cela. C’était une étape pour développer quelque chose de plus mélodique, d’introduire un peu plus de rythmes, sans être dancefloor pour autant, parce que personnellement ce n’est pas du tout ce que je recherche. Je dirais que c’est le disque d’un groupe qui pose ses bases et recherche son identité.

Avec Micro : mega, ne vous sentez-vous pas proche de quelqu’un comme Gnac? Avec quels artistes vous sentez-vous des affinités?
Gnac, non, car on ne connaît pas. Donc on ne peut pas se sentir proche! On a l’habitude de citer quatre noms, deux chacun car on n’a pas les mêmes goûts exactement, ni les mêmes univers sonores, ce qui fait aussi la richesse du truc, ou la pauvreté, ça dépend ce qu’on fait! Moi, je cite généralement Labradford, qui est un groupe qu’on aime beaucoup tous les deux, certains trucs de Brian Eno, ses travaux les plus ambiant, et Fred, avec ses goûts plus rythmiques, citerait Bill Laswell et aussi le Mick Harris de Scorn, car Fred aime aussi le dub et c’est une chose pour laquelle il m’influence un peu et ça va se retrouver de plus en plus je pense dans Micro : mega, à notre façon. Cela peut démontrer que dans le groupe, en gros, l’aspect rythmique est apporté par Fred et certains aspects mélodiques par moi. Mais ce n’est pas aussi simple que cela évidemment.
 

Quand on voit Human, le nouveau Micro : mega, ce qui intrigue tout d’abord, ce sont les noms de Pan American et de Third Eye Foundation pour les remixes. Pourquoi avoir fait appel à eux, que pensiez-vous qu’ils puissent apporter à votre musique et avez-vous été satisfaits du résultat?
Oui. En fait, on nous a proposé de nous faire remixer. On n'avait rien contre dans l’idée. Alors on a commencé à lancer des noms, presque en rigolant, de trucs qu’on aimait beaucoup, en se disant que ce ne serait pas possible. Et en fait, ça a été possible, quasiment les deux premiers noms qu’on a lancés, Pan American et Third Eye Foundation. La maison de disques chargée de la distribution les ont contactés et on leur a envoyé les morceaux qu’on avait faits et ils ont accepté. Ca a été une grosse surprise parce que Mark Nelson, j’aime énormément. C’était un super honneur. Quant au résultat, je pense qu’il est assez conforme à ce qu’on pouvait attendre d’eux. On peut dire qu’ils ne se sont pas foutus de nous, quand même. Le remix de Third Eye Foundation est assez dans la lignée de ce qu’il fait maintenant, avec un rythme jungle assez déstructurée, des voix à l’envers. Le remix de Pan American, super étiré sur 8-9 minutes, très planant, je le trouve vraiment magnifique. Donc, oui, on est content du résultat. J’étais d’ailleurs très fier qu’il y ait quelques secondes de ma voix qui soient utilisées sur le remix! La consécration! (rires…)

Les titres et les albums de Micro : mega ont souvent à voir avec l’homme en général. Revendiquez-vous l’homme comme principale source d’inspiration? 
C’est incontestable, enfin au sens large… L’idée, effectivement pour ce deuxième disque de Micro : mega, c’était de baptiser chaque morceau avec une partie du corps humain, en y ajoutant même l’esprit. Après, ça n’a pas de sens particulier par rapport aux morceaux eux-mêmes, parce qu’il n’y a pas de texte, ou très peu. C’est juste considérer le disque comme on peut considérer un individu, le construire comme une personne. Oui, c’est forcément le centre de ce qui nous préoccupe. Là, on est allés au cœur du sujet mais sans le développer parce qu’on fait une musique qui n’est pas verbale.

On évoque une tournée au sujet du nouvel album de Micro : mega. Est-ce vrai? Si oui, serez-vous deux sur scène, ou y aura-t-il d’autres musiciens?
A ma connaissance, il n’y a pas de tournée prévue, nous on aimerait bien et on a un concert qui est prévu le 24 octobre à Paris (Batofar). On sera sur scène comme on a joué l’année dernière, on a fait une poignée de concerts déjà, à savoir qu’on n'est que deux, donc il n’y aura pas d’autres musiciens. Il y a des rythmiques pré-enregistrées, les trucs mélodiques sont joués en direct, à savoir les guitares, la basse, les claviers. Il a été question qu’on ait aussi une chanteuse sur scène, puisqu’il y a un morceau qui est chanté par une fille sur le nouveau disque; elle ne sera pas là au concert qu’on fera à Paris, mais à l’avenir, il se peut qu’il y ait plus de chant sur scène. Peut-être que sur nos prochains morceaux aussi, il y aura plus d’interventions vocales, mais pas dans un sens très chanté, plutôt avec des voix murmurées, des choses comme ça (comme sur le quatrième morceau de notre disque). Mais la voix sur scène sera de plus en plus abordée. On joue aussi du métallophone, qui est un instrument présent sur nos disques.
 
 

« Lui »




Ton premier album, le Livre Noir du Capitalisme, était plus acoustique que ce que tu fais au sein de Micro : mega. Etait-ce un choix de départ?
Oui et non. Effectivement, il y a une volonté délibérée de faire un truc acoustique, notamment autour du piano, qui est l’instrument qui me travaille le plus depuis deux-trois ans. Je voulais vraiment que ce disque tourne autour de cela. Mais je dis oui et non, parce qu’en même temps, j’ai voulu faire un disque acoustique mais qui est en fait un disque électronique. Il y a énormément de samples qui imitent l’acoustique, des sons acoustiques, mais que je n’ai pas faits moi-même, par défaut de moyens. Je ne pouvais pas faire exécuter certaines compositions quand et par qui je voulais; par défaut, j’ai donc utilisé beaucoup l’électronique. Mais à l’arrivée, j’espère que ça sonne le plus acoustique possible, parce que c’est vraiment mon but. Quant à ce disque, je suis déjà assez critique parce que je suis déjà passé à autre chose. Je suis déjà à fond dans le deuxième, j’ai commencé à le réaliser, il devrait sortir au printemps si j’arrive à le finir d’ici la fin de l’année. J’espère qu’il sera plus acoustique, avec 90% des choses qui seront jouées en direct par un pianiste, un violoncelliste, un altiste. En ce moment, c’est vraiment ce qui m’obsède.

Le Livre Noir du Capitalisme est un disque très à part, le genre de disque qu’on attendait pas en France…
Je crois que personne ne l’attendait et que même personne ne l’a entendu (rires…). Il est vraiment sorti de manière confidentielle. Involontairement, je suis tombé dans un des buts que je m’étais fixés. Je voulais faire un disque que personne n’aimerait. Il y a quelques personnes qui l’ont aimé, mais c’est vraiment très rare (rires…). J’étais tombé sur une lettre de Godard à l’époque où il réalisait A bout de souffle, qu’il a écrite à son producteur et dans laquelle il disait qu’il désirait que son film ne plaise à personne, ce qui a dû effrayer son producteur. Et cette idée de faire un disque qui ne plairait qu’à moi me plaisait beaucoup, rien à foutre des autres… L’enregistrement a duré si longtemps que je me suis adouci, et j’ai un peu dévié de ma route, c’est peut-être dommage. C’est l’une des critiques que je ferais sur ce disque, c’est que je me suis peut-être éparpillé, qu’il y a des morceaux qui n’auraient peut-être pas lieu d’être. Et je vais essayer de corriger ça sur le prochain, je vais essayer de faire quelque chose de vraiment plus homogène.
 
 

En parlant de Godard, il y a bien sûr sur l’album les samples de voix extraits de ses films. Pourquoi Godard? N’as-tu pas peur d’être taxé d’intello, comme l’ont été Diabologum ou Jean Bart?
Godard est un type dont la démarche m’impressionne et m’influence alors que bizarrement, j’ai vu assez peu de ses films. Et plus j’en vois, plus je m’aperçois que j’aime ce qu’il faisait dans les années 60. Je n’en ai pas vus beaucoup des années 70. Pour ce qui est de la période 80-90, je n’adhère quasiment pas, je ne comprends plus l’intérêt. Par contre, je reste très attentif au personnage. Il me fascine toujours autant, peut-être de plus en plus. J’adore lire ou écouter ses interviews, j’ai même lu un bouquin sur lui. J’admire ce genre de personne qui sait faire un truc très personnel, qui se fout un peu des conventions commerciales alors qu’il fait l’un des arts les plus coûteux, le cinéma, et qui arrive à bâtir une carrière entière – je ne sais pas si c’est le mot qui convient –, qui arrive à tourner énormément, à faire toute sa vie dans le cinéma en faisant un truc furieusement personnel et ça, ça m’impressionne énormément. C’est un truc que j’aurai rêvé faire et que j’espère encore pouvoir faire. Quant à la question de savoir si c’est intello et si on me taxe de ça, déjà on ne me taxe pas parce que le disque a été très peu chroniqué, et d’autre part ça ne me dérange absolument pas; au contraire je trouve que c’est une qualité d’être intellectuel. Je ne vois pas en quoi ce serait une critique. Oui, soyons intellectuels! Ca veut dire quoi être intellectuel, ça veut dire faire travailler son cerveau? Moi je revendique cela, bien sûr.

Ce premier album est une véritable source d’émotions pour l’auditeur. Dans quelles conditions écris-tu tes morceaux? Quel est, à tes yeux, le thème principal de cet album?
J’écris les morceaux de manière très furtive. Il faut qu’il y ait des émotions ressenties, qui ressortent tout d’un coup, généralement le soir. Ca peut être avec un instrument que j’ai au pied de mon lit, clavier ou guitare, ça peut être quelque chose qui vient en marchant dans la rue. Il faut que ce soient des trucs qui jaillissent tous seuls, d’un coup, c’est jamais vraiment par le travail, ça vient dans la facilité ou ça ne vient pas, à tel point qu’il y a certaines parties, certaines mélodies du disque qui me sont venues sur un plateau, en rêve, où je me suis réveillé avec elles en tête et je les ai notées. C’est le cas sur Dernière Etape Avant le Silence par exemple, qui est à mon goût le plus réussi, avec une mélodie rêvée que j’ai à peu près pu reproduire. Pour moi c’est rêvé, parce qu’alors ça ne demande aucun travail dans l’écriture, mais la réalisation, c’est quand même du boulot. Je ne suis pas très laborieux, je suis un peu fainéant. Quant au thème de l’album, le titre peut donner une indication du thème, déjà le Livre pour un disque, ça peut faire rire certaines personnes. Moi, ça ne me fait pas rire, c’est quand même un disque assez triste, j’espère qu’on le ressent. Le thème véritable, pour être honnête, c’est une fille. Je pense que la musique et les titres sont empreints de plein de références à des relations entre des personnes qui se passent plutôt mal. C’est plutôt en référence à un passage très intéressant de ma vie, mais qui s’est achevé. Et si ça fait plutôt ouvrage politisé, c’est parce que la politique et le social étaient aussi au centre de ma relation avec cette fille puisque tout ce qu’on vit, on le vit en fonction des données politiques et sociales qui composent notre société. Ca ne paraît donc pas du tout incompatible d’avoir un titre pseudo politique, pseudo post-révolutionnaire – comme me l’ont dit certains amis –, alors que le propos n’est pas vraiment là. Mais cette préoccupation en politique je l’ai eue – beaucoup moins maintenant –; j’ai eu beaucoup de velléités ultra-gauchistes et maintenant, étrangement, c’est quelque chose qui ne m’intéresse plus du tout… Peut-être est-ce que je deviens de plus en plus misanthrope et je ne vois même plus l’intérêt d’avoir des préoccupations collectives; ce serait un peu inquiétant mais je ne sais pas trop…

J’ai pourtant croisé des gens qui, au vu du titre, ont considéré cet album comme un simple pamphlet politique…
Eh bien, ce n’est pas du tout le cas! Certains peuvent même le prendre au second degré et ce n’est pas le cas non plus, ce n’est pas un gag!

Quelle serait à ton avis la principale qualité de tes disques pour laquelle tu aimerais être apprécié?
Je vise de faire des disques grandioses. Honnêtement, je rêve de faire le meilleur disque du monde. Tu m’as envoyé la chronique que tu avais écrite sur Le Livre Noir du Capitalisme (publiée dans le numéro Eté 00, ndlr) et pour moi, c’est la réaction maximale que je peux souhaiter d’un auditeur, qu’il me dise qu’il est extrêmement touché par les mélodies, par l’ambiance, qui trouve que c’est quelque chose rarement entendu dans ce contexte… Moi je ne peux souhaiter mieux. Je ne souhaite pas pour autant que les gens viennent m’embrasser dans la rue (rires…), je ne veux pas être riche et célèbre du tout. Ce que je peux souhaiter, c’est que les gens soient touchés, au point que ce disque les marque… Mon rêve, c’est de faire le truc le plus beau qu’on puisse concevoir. Je pense que je ferai des trucs corrects en musique d’ici dix ou quinze ans, parce que je compte continuer longtemps, car pour l’instant j’en suis encore à trouver vraiment ce qui fera mon identité par la suite. J’ai pour l’instant l’impression de tâtonner, de ne pas avoir encore fait quelque chose qui tienne la route par rapport à ce que je voudrais faire. J’ai envie de mettre la barre très haut, comme en saut en hauteur. Je rêve d’être prolifique pendant longtemps et de faire des trucs superbes, voilà (rires)… C’est vital pour moi…


 
 
Interview téléphonique réalisée par Stéphane
Avec l’aide technique de Patrick
17.10.00