Madrugada, un nom étrange pour un groupe sombre qui vient du froid… Leur nom est en réalité un des nombreux paradoxes du groupe: un nom et des paroles étrangers à leur origine, un ensemble d'ambiances et de descriptions presque apocalyptiques plutôt lointaines de ce qu'on imagine de la Norvège. Un petit éclaircissement sur leur musique certes relativement peu inventive mais pourtant étonnamment prenante, avec Sivert Høyem, chanteur charismatique, et Jon Lauvland Pettersen, batteur.

 
On ne connaît pas encore grand-chose sur vous ici en France… vous pouvez nous parler de vos débuts, en particulier de vos deux premiers disques?
Jon Lauvland Pettersen: C'est vrai, on n'est pas encore connus en France, pas encore, en tous cas (rires…). Oui, on a sorti notre album en Norvège en septembre 99, et il a eu beaucoup de succès. On essaie maintenant de travailler pour qu'il ait du succès dans le reste de l'Europe. La sortie de l'album dans dix pays en fait partie; on verra comment ça évolue… On fera cinq ou six concerts en octobre/novembre en France.
Sivert Høyem: Ce disque (Industrial Silence) est notre premier album. Nous avons aussi sorti deux EPs. Peut-être pas en France, je ne sais plus…
C'étaient des titres qui étaient musicalement proches de ce que vous faites maintenant?
Sivert: Oui, plus ou moins…
Jon: Ce sont des titres qui font partie de la même session d'enregistrement. Les chansons sorties sur ces EPs sont en fait des sortes de chutes de studio.

"Madrugada" signifie "aurore" en espagnol. Vous avez choisi ce nom à cause de l'ambiance, de l'atmosphère qui se dégage de votre musique?
Jon: C'est surtout parce qu'on aimait la poésie du mot en soi. Il convient aussi très bien à l'humeur de notre musique, donc c'est un nom qui nous va très bien, je crois.


 
J'ai une fois lu que votre musique faisait penser aux Tindersticks. Je pense plutôt à Nick Cave, pour la noirceur… Vous vous sentez plutôt proches de qui?
Jon: En fait, on aime beaucoup les deux… Ce ne sont pas nos principales influences, mais on écoute leur musique avec plaisir, et ça nous fait très plaisir d'être comparés à eux…

Quel genre d'émotions essayez-vous de provoquer chez l'auditeur?
Sivert: La confusion, le désespoir… mais on veut tout de même que nos chansons dégagent une atmosphère amicale, très humaine. On veut que l'auditeur se sente finalement à l'aise, confortable, malgré le chaos de certaines chansons.
Jon: C'est notre premier album, et les chansons ont été écrites sur une longue période: la première en 1996 et la dernière en 1999… Pendant une si longue période, beaucoup de choses se passent et beaucoup d'influences ont le temps de te toucher. C'est un peu schizophrénique, dans le sens où les atmosphères sont très différentes selon l'époque où les morceaux ont été composés.

Beaucoup de vos chansons me font penser à une certaine décadence urbaine, et à vrai dire, quand en France on pense "Norvège", on pense tout sauf "décadence urbaine"… Ce paradoxe est voulu? D'où vous viennent tous ces sentiments?
Sivert: La plupart des chansons de cet album ont été écrites alors que nous vivions tous à Oslo. On est tous plus ou moins de la campagne, donc ces chansons décrivent en fait notre rencontre avec la ville. On a une immense fascination pour les villes, leur vie, le mode de vie urbain. Certaines villes, même en Norvège, ont quelque chose d'effrayant, et Oslo fait partie de ces villes-là. C'est une ville ennuyeuse et oppressante.
Jon: Il y a beaucoup de ciment de béton, et très peu d'espaces verts, de terre… Pour nous, ce n'est pas une ville accueillante et agréable. Donc je suppose que ce sentiment a dû transpirer sur le disque.

Pourquoi chanter en anglais, et pas en norvégien?
Jon: C'est très courant, pour les groupes norvégiens, de chanter en anglais… La radio nationale a récemment fait une étude là dessus, et seulement 8 ou 9% des groupes chantent en norvégien… C'est une vieille tradition chez nous… En plus, les gens n'écoutent pratiquement que des groupes anglo-saxons. C'est presque une tradition nationale, de chanter en anglais…

Votre nom est espagnol, vous chantez en anglais, on dirait que vous refusez d'être norvégiens…
Jon: C'est une totale confusion, absolument! (rires…)
C'est une sorte de provocation?
Jon: Oh non, pas du tout! On trouve naturel de chanter en anglais puisqu'on est influencé par des groupes anglo-saxons, et on a choisi ce nom parce qu'on le trouvait très beau… c'est aussi simple que cela.

Vous prévoyez de recommencer à faire des enregistrements, incessamment?
Sivert: Oui. D'ailleurs, on ira à New York pour enregistrer notre second album. En suite, suivra une tournée européenne d'une trentaine de dates. On a assez écrit pour pouvoir enregistrer un album entier.
Jon: On a déjà enregistré des démos d'environ 27 chansons, donc on peut vraiment dire que le nouvel album est déjà pas mal avancé.

Votre état d'esprit a beaucoup changé entre l'époque des premiers enregistrements et maintenant?Jon: Oui, pas mal. Comme je l'ai dit, la période d'écriture pour le premier album a été très longue, 4 ans environ, et à cause de ça, notre album reflète pas mal d'influence, il est assez transparent face à elles. Je pense que ce second album sera une sorte d'album conceptuel. Je pense que celui-ci reflétera le sentiment, ou le fait que ces chansons ont été écrites dans un laps de temps très court, et très peu de temps avant leur enregistrement. Je pense qu'elles auront une grande cohérence.

Pourquoi choisir New York pour l'enregistrement?
Jon: New York dégage un sentiment de tension urbaine très forte, qui nous plaît beaucoup. Les sentiments y sont si forts et il s'y passe tellement de choses que nos enregistrements seront forcément marqués par cette ville. De plus, beaucoup de nos nouvelles chansons vont très bien avec l'ambiance new-yorkaise. Ca a peut-être l'air d'être un cliché, mais cet album doit vraiment être enregistré à New York.
Sivert: On était déjà allé à New York pour l'enregistrement du premier album, et la ville nous avait vraiment beaucoup plu. Il y a un endroit, près de New York, dans le New Jersey, qui s'appelle Hoboken. C'est un endroit très joli et assez calme, dans une ambiance italienne, portoricaine, et il y a un très bon studio là bas; on espère vraiment pouvoir y aller. On est en négociations avec le producteur, l'ingénieur du son, et la maison de disques… ils ne veulent pas dépenser tout leur argent avec nous…

Votre producteur est quelqu'un de votre entourage musical ou personnel?
Jon: On aime bien être notre propre producteur. On espère obtenir l'aide de la personne qui avait produit le premier album, et on aimerait qu'il soit notre ingénieur du son sur le second. Il a travaillé avec Dinosaur Jr, Bob Dylan, c'est quelqu'un de très bien et de très talentueux. Je crois que c'est l'homme de la situation.
Pourquoi Hoboken? A cause de Yo La Tengo?
Jon: C'est surtout parce que c'est un bon studio, et que l'ingénieur du son qu'on espère avoir a de très bon contacts avec ce studio. De plus, on a déjà travaillé dans ce studio, donc ce serait un choix sûr.
Sivert: Yo La Tengo a au moins utilisé ce studio pour Fakebook et Painful. Ils y ont enregistré au moins trois ou quatre albums.

Vous préférez travailler en studio ou sur scène?
Jon: On a dû faire 60 concerts en Norvège, et c'est beaucoup trop pour un seul pays, mais notre son a été créé pendant nos sessions d'enregistrements, et la majeure partie du travail créatif s'est déroulée en studio. Je pense donc qu'on préfère le studio.
Sivert: Quand on a passé un gros moment en studio, on a envie d'être sur la route, quelques jours, puis de reprendre de travail en studio…
Jon: Ca s'est très bien équilibré pendant l'enregistrement d'Industrial Silence: deux semaines en studio, une semaine de concerts, c'était parfait.

Vous comptez rester à la formation guitare-basse-batterie, ou vous compter essayer d'autres instruments?
Jon: Sivert a déjà utilisé l'euphonium, les cuivres. On a déjà essayé des mandolines, et des orgues à vent. On aime bien ajouter des choses un peu "rares". Ah, et j'ai acheté une Steel-drum à Paris hier… j'aimerais beaucoup l'utiliser, j'ai hâte.
Sivert: Quand on fait certaines tentatives sur scène, ça plaît généralement beaucoup au public. Il nous est arrivé de faire des soli à deux instruments: mandoline et tuba, j'ai trouvé ça très bien. Ca créait une sorte d'ambiance créole, new-orleans…Vous pensez que le nouvel album sera plus expérimental que le premier?
Jon: Oui, complètement. Du moins, c'est ce que je crois.
Vous savez dans quelle direction vous allez orienter vos expérimentations?
Jon: Dans tous les cas, dans une direction différente de celle du premier album. Paradoxalement, je pense que les arrangements seront plus simples: moins de delays, d'echos, moins d'effets, moins de gros son. Notre son sera plus sec, je pense. On a des idées avec une batterie électronique, et des overdubs assez intéressants…
Sivert: Il sera aussi beaucoup plus "groovy". Notre premier album était très marqué "blanc". Je pense que le second reflétera beaucoup plus certaines de nos influences en musique dite "noire".
Jon: Le jazz nous a aussi beaucoup inspirés pour l'écriture du second album. A l'écoute, on l'entend très bien, on peut même entendre du bee-bop! C'est certain, notre prochain album sera beaucoup plus expérimental.


 
 



 
 
 

Interview Stéphane et David
Hénin-Beaumont, Festival des Nuits de la Saint-Henriette, 23.06.00
Photos David